"Intrinsèquement désordonnés"
Le Catéchisme de l'Eglise catholique affirme de 1992 (n°2357) que "la Tradition a toujours déclaré que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés." link Cette affirmation me dérange. Pour moi qui suis fidèle à mon engagement au célibat, ce n'est pourtant pas qu'un problème intellectuel : il s'agit de savoir si les actes sexuels de ceux qui partagent avec moi la condition homosexuelle peuvent avoir un sens positif et bon, ou bien s'ils sont voués à n'être que tristesse, mensonge, illusion.
Le "Catéchisme" ne détaille pas et ne démontre pas. D'où vient alors cette formule ? Une note l'indique : de "Persona Humana §8", déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1975 link) J'ai suivi cette piste. A son tour, ce document affirme que "les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable", et donne deux références : une de Vatican II, l'autre dans Saint Paul.
Et c'est là que tout est cousu de fil blanc, même si les coutures sont cachées dans les notes de bas de page. Car Vatican II (1965 link) n'aborde jamais la question de l'homosexualité. Les passages cités renvoient à Gaudium et Spes, §49-51, où l'on réfléchit au sens de l'acte sexuel entre un homme et une femme unis par le sacrement du mariage. Autant dire que tout est joué d'avance : en décider d'aller citer un texte qui ne parle pas d'homosexualité, on va forcément en retirer que l'homosexualité pose problème. Et quand la Congragation affirme, au §5, que ce passage de Vatican II traite de la "finalité de l'acte sexuel et du critère principal de sa moralité", c'est infléchir le sens du texte, qui ne réfléchit jamais à l'acte sexuel en dehors du mariage. Ayant fait choix de ne pas porter d'anathèmes, le Concile se contentait de poser que "l'inclination simplement érotique, cultivée pour elle-même, s'évanouit vite et de façon pitoyable" - ce avec quoi beaucoup seront d'accord quelle que soit leur condition.
La citation de Saint Paul, quant à elle, est reproduite en entier dans une note de bas de page : Rm 1, 24-27. Mais citer la Bible sans l'expliquer, sans commenter, sans resituer dans un contexte, pour justifier une théologie déjà faite, c'est une pratique qu'on espérait disparue dans l'Eglise. Et même sans cela, si l'on voulait prendre le sens littéral privé de tout contexte, on aurait un problème : parlant de ceux qui ont "échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature", Paul veut-il vraiment parler de ceux qui sont structurellement homos, ou bien d'hétéros qui ont trompés leurs conjoints en allant dans une backroom ? On sait en effet que l'idée d'une homosexualité structurelle est totalement impensable avant le XIXème siècle. Citer ce passage sans mesurer la distance culturelle qui nous en sépare est donc vain.
Il font donc lire entre les lignes du Catéchisme, et du texte de la CDF, pour comprendre. Et je crois deviner que, derrière ces citations, c'est en fait la bonne théologie néo-scolastique du début du XXème sicèle qui fonctionne. On le voit bien, d'ailleurs, avec ceux qui se réclament de la "Tradition" sans jamais donner de référence historique : ils sont habituellement situés dans la doctrine de l'Eglise au moment précis de la crise moderniste. Autant dire que le raisonnement qui qualifie les actes homosexuels d' "intrinsèquement désordonnés" n'a rien à voir avec la théologie du Concile, qui a permis à l'Eglise de respirer en sortant de cette caricature mécanique de la théologie du grand St Thomas d'Aquin.
Résumons en bref ce que doit donner cette néo-scolastique : l'acte sexuel permet la fécondation et la survenue d'un nouvel être ; et en gros, cette conséquence matérielle et temporelle est prise pour le sens ultime de l'acte. De physique, la finalité devient morale, et la "fin" de l'acte sexuel devient la fécondation. La cause finale, au sens de fin temporelle, devient cause finale au sens de perspective morale. Conséquence : tout ce qui est sexuel et non fécondant est immoral. Je caricature, pour faire comprendre l'essentiel : la perspective du Concile était justement de sortir de ces schémas, au point d'affirmer que l'acte sexuel, même dans le cas où il ne conduisait pas à la procréation, était "honnête et digne."
Mais derrière tout cela, n'y aurait-il pas aussi une crainte que j'ai souvent entendu exprimer, après un bon repas entre bons cathos, à l'heure du café, dans une famille bourgeoise ou dans un séminaire : "Mais franchement, dites-moi, comment deux hommes peuvent-ils vraiment coucher ensemble ?" Et on dit ça avec un clin d'oeil qui veut dire: nous savons bien que c'est dégueulasse et n'essayez pas de m'expliquer, ouh là là quelle horreur ! Ou pour le dire plus crûment, la sodomie c'est super sale pour celui qui est actif et super douloureux pour celui qui est passif. Là, je manque d'expérience pour affirmer quoi que ce soit ! Mais les témoignages que j'ai pu lire comme certaines représentations dans des films m'ont plutôt rassuré : moyennant quelques précautions, ça a l'air de rouler.
Reste à savoir, finalement, comment je peux recevoir cet enseignement...
- C'est tout à l'honneur de l'Eglise de chercher à comprendre, et elle l'a vraiment fait au temps où Thomas d'Aquin a cherché à accomoder la théologie chrétienne à la philosophie d'Aristote. Mais il s'est appuyé sur la philosophie de son temps. Être fidèle à la tradition, c'est aussi lire ces philosophes d'aujourd'hui qui écrivent soit sur la sexualité, soit déjà sur le corps et l'altérité. Et c'est seulement sur une compréhension juste qu'on pourra fonder un jugement moral.
- Ensuite, il y a un problème de théologie morale. On a progressé, depuis la néo-scolastique ! Et chercher la moralité d'un acte dans sa "valeur objective", comme s'il y avait des valeurs objectives hors d'un cercle historique d'interprétation, tous sont aujourd'hui revenus de cette naïveté. Ces textes du magistère n'honorent pas la théologie morale contemporaine de l'Eglise.
- Pourtant, il y a cette vieille idée, que sexualité et reproduction ont quelque chose à voir. Pas immédiatement, bien sûr, mais les séparer complètement risque de nous conduire au "Meilleur des mondes". Et là, bon catholique lesté de la Tradition, je résiste aux vents du moment ! Faire un enfant, le fabriquer avec toutes les prouesses de notre génération technique, mais sans plus aucune référence à un amour à la fois spirituel et charnel entre un homme et une femme, cela m'inquiète profondément. C'est là que penser les actes homosexuels devient compliqué : car ils ont bien des points communs avec les actes hétérosexuels, mais sans pourtant partager leur privilège de pouvoir conduire, parfois, au mystère de l'engendrement d'un enfant qui est est aussi le mystère de notre propre origine.
- En nous renvoyant, maladroitement certes, au Concile, le texte du Catéchisme me pose une question. Il interprète en effet les actes (hétéro-)sexuels dans le cadre d'un engagement définitif du couple (le mariage). Avec l'homosexualité on est évidemment dans un autre cadre. Mais il y aurait peut-être à penser le sens général des actes sexuels comme célébration d'un engagement déjà donné dans l'écoute et la parole. Attendre d'une nuit d'amour qu'elle soit, à elle seule, le moment de la rencontre et du don, c'est sans doute trop exiger. Mais elle pourrait être, sur le versant de la rencontre des corps, la célébration de ce qui s'est déjà vécu ou engagé, sur le versant de la parole et la promesse. Je me souviens ici que l'Eglise considère qu'un mariage est définitivement conclu - ce que l'ancienne langue appelle "consommé" - que quand les époux ont "ratifié" leur contrat dans l'intimité de la nuit de noces.
- Enfin, cet enseignement de l'Eglise m'invite à la prudence. Tout n'est pas rose au pays merveilleux de l'homosexualité ! Je le devine, j'en ai reçu des témoignages, et il y a des souffrances. Mais de là à faire d'une situation de fait une règle de droit, "objective", j'hésite. Certes, il y a bien des homos qui n'inscrivent pas leur vie sexuelle dans une relation de couple stable, fidèle, heureux et rayonnant. Est-ce pour autant une illusion, un rêve qui refuse de voir une impossibilité de la nature humaine ? Je ne sais pas. Et je continuerai à écouter ce que j'apprendrai des uns et des autres.