"Intrinsèquement désordonnés"

Publié le par Père Jonathan

CouvCat.jpgLe Catéchisme de l'Eglise catholique affirme de 1992 (n°2357) que "la Tradition a toujours déclaré que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés." link Cette affirmation me dérange. Pour moi qui suis fidèle à mon engagement au célibat, ce n'est pourtant pas qu'un problème intellectuel : il s'agit de savoir si les actes sexuels de ceux qui partagent avec moi la condition homosexuelle peuvent avoir un sens positif et bon, ou bien s'ils sont voués à n'être que tristesse, mensonge, illusion.

 

Le "Catéchisme" ne détaille pas et ne démontre pas. D'où vient alors cette formule ? Une note l'indique : de "Persona Humana §8", déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1975 link) J'ai suivi cette piste. A son tour, ce document affirme que "les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable", et donne deux références : une de Vatican II, l'autre dans Saint Paul.

 

Et c'est là que tout est cousu de fil blanc, même si les coutures sont cachées dans les notes de bas de page. Car Vatican II (1965 link) n'aborde jamais la question de l'homosexualité. Les passages cités renvoient à Gaudium et Spes, §49-51, où l'on réfléchit au sens de l'acte sexuel entre un homme et une femme unis par le sacrement du mariage. Autant dire que tout est joué d'avance : en décider d'aller citer un texte qui ne parle pas d'homosexualité, on va forcément en retirer que l'homosexualité pose problème. Et quand la Congragation affirme, au §5, que ce passage de Vatican II traite de la "finalité de l'acte sexuel et du critère principal de sa moralité", c'est infléchir le sens du texte, qui ne réfléchit jamais à l'acte sexuel en dehors du mariage. Ayant fait choix de ne pas porter d'anathèmes, le Concile se contentait de poser que "l'inclination simplement érotique, cultivée pour elle-même, s'évanouit vite et de façon pitoyable" - ce avec quoi beaucoup seront d'accord quelle que soit leur condition.

 

La citation de Saint Paul, quant à elle, est reproduite en entier dans une note de bas de page : Rm 1, 24-27. Mais citer la Bible sans l'expliquer, sans commenter, sans resituer dans un contexte, pour justifier une théologie déjà faite, c'est une pratique qu'on espérait disparue dans l'Eglise. Et même sans cela, si l'on voulait prendre le sens littéral privé de tout contexte, on aurait un problème : parlant de ceux qui ont "échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature", Paul veut-il vraiment parler de ceux qui sont structurellement homos, ou bien d'hétéros qui ont trompés leurs conjoints en allant dans une backroom ? On sait en effet que l'idée d'une homosexualité structurelle est totalement impensable avant le XIXème siècle. Citer ce passage sans mesurer la distance culturelle qui nous en sépare est donc vain.

 

Il font donc lire entre les lignes du Catéchisme, et du texte de la CDF, pour comprendre. Et je crois deviner que, derrière ces citations, c'est en fait la bonne théologie néo-scolastique du début du XXème sicèle qui fonctionne. On le voit bien, d'ailleurs, avec ceux qui se réclament de la "Tradition" sans jamais donner de référence historique : ils sont habituellement situés dans la doctrine de l'Eglise au moment précis de la crise moderniste. Autant dire que le raisonnement qui qualifie les actes homosexuels d' "intrinsèquement désordonnés" n'a rien à voir avec la théologie du Concile, qui a permis à l'Eglise de respirer en sortant de cette caricature mécanique de la théologie du grand St Thomas d'Aquin.

 

Résumons en bref ce que doit donner cette néo-scolastique : l'acte sexuel permet la fécondation et la survenue d'un nouvel être ; et en gros, cette conséquence matérielle et temporelle est prise pour le sens ultime de l'acte. De physique, la finalité devient morale, et la "fin" de l'acte sexuel devient la fécondation. La cause finale, au sens de fin temporelle, devient cause finale au sens de perspective morale. Conséquence : tout ce qui est sexuel et non fécondant est immoral. Je caricature, pour faire comprendre l'essentiel : la perspective du Concile était justement de sortir de ces schémas, au point d'affirmer que l'acte sexuel, même dans le cas où il ne conduisait pas à la procréation, était "honnête et digne."

 

Mais derrière tout cela, n'y aurait-il pas aussi une crainte que j'ai souvent entendu exprimer, après un bon repas entre bons cathos, à l'heure du café, dans une famille bourgeoise ou dans un séminaire : "Mais franchement, dites-moi, comment deux hommes peuvent-ils vraiment coucher ensemble ?" Et on dit ça avec un clin d'oeil qui veut dire: nous savons bien que c'est dégueulasse et n'essayez pas de m'expliquer, ouh là là quelle horreur ! Ou pour le dire plus crûment, la sodomie c'est super sale pour celui qui est actif et super douloureux pour celui qui est passif. Là, je manque d'expérience pour affirmer quoi que ce soit ! Mais les témoignages que j'ai pu lire comme certaines représentations dans des films m'ont plutôt rassuré : moyennant quelques précautions, ça a l'air de rouler.

 

Reste à savoir, finalement, comment je peux recevoir cet enseignement...

  1. C'est tout à l'honneur de l'Eglise de chercher à comprendre, et elle l'a vraiment fait au temps où Thomas d'Aquin a cherché à accomoder la théologie chrétienne à la philosophie d'Aristote. Mais il s'est appuyé sur la philosophie de son temps. Être fidèle à la tradition, c'est aussi lire ces philosophes d'aujourd'hui qui écrivent soit sur la sexualité, soit déjà sur le corps et l'altérité. Et c'est seulement sur une compréhension juste qu'on pourra fonder un jugement moral.
  2. Ensuite, il y a un problème de théologie morale. On a progressé, depuis la néo-scolastique ! Et chercher la moralité d'un acte dans sa "valeur objective", comme s'il y avait des valeurs objectives hors d'un cercle historique d'interprétation, tous sont aujourd'hui revenus de cette naïveté. Ces textes du magistère n'honorent pas la théologie morale contemporaine de l'Eglise.
  3. Pourtant, il y a cette vieille idée, que sexualité et reproduction ont quelque chose à voir. Pas immédiatement, bien sûr, mais les séparer complètement risque de nous conduire au "Meilleur des mondes". Et là, bon catholique lesté de la Tradition, je résiste aux vents du moment ! Faire un enfant, le fabriquer avec toutes les prouesses de notre génération technique, mais sans plus aucune référence à un amour à la fois spirituel et charnel entre un homme et une femme, cela m'inquiète profondément. C'est là que penser les actes homosexuels devient compliqué : car ils ont bien des points communs avec les actes hétérosexuels, mais sans pourtant partager leur privilège de pouvoir conduire, parfois, au mystère de l'engendrement d'un enfant qui est est aussi le mystère de notre propre origine.
  4. En nous renvoyant, maladroitement certes, au Concile, le texte du Catéchisme me pose une question. Il interprète en effet les actes (hétéro-)sexuels dans le cadre d'un engagement définitif du couple (le mariage). Avec l'homosexualité on est évidemment dans un autre cadre. Mais il y aurait peut-être à penser le sens général des actes sexuels comme célébration d'un engagement déjà donné dans l'écoute et la parole. Attendre d'une nuit d'amour qu'elle soit, à elle seule, le moment de la rencontre et du don, c'est sans doute trop exiger. Mais elle pourrait être, sur le versant de la rencontre des corps, la célébration de ce qui s'est déjà vécu ou engagé, sur le versant de la parole et la promesse. Je me souviens ici que l'Eglise considère qu'un mariage est définitivement conclu - ce que l'ancienne langue appelle "consommé" - que quand les époux ont "ratifié" leur contrat dans l'intimité de la nuit de noces.
  5. Enfin, cet enseignement de l'Eglise m'invite à la prudence. Tout n'est pas rose au pays merveilleux de l'homosexualité ! Je le devine, j'en ai reçu des témoignages, et il y a des souffrances. Mais de là à faire d'une situation de fait une règle de droit, "objective", j'hésite. Certes, il y a bien des homos qui n'inscrivent pas leur vie sexuelle dans une relation de couple stable, fidèle, heureux et rayonnant. Est-ce pour autant une illusion, un rêve qui refuse de voir une impossibilité de la nature humaine ? Je ne sais pas. Et je continuerai à écouter ce que j'apprendrai des uns et des autres.

Publié dans Eglise

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E
<br /> J'admire la patience... mais je regrette que la longue réponse ne soit pas venue!<br /> Il y a un auteur, un historien américain, Mark D. Jordan, dont j'ai beaucoup aimé le petit livre intitulé The Invention of Sodomy in Christian Theology paru en 1992 au Presses Universitaires de<br /> Chicago. Il tend à montrer par un travail historique précis comment ce discours s'est mis en place dans la théologie catholique du Moyen Âge. Si cela s'est mis en place tardivement, cela peut aussi<br /> évoluer vers cette Écoute, ouvre l'oreille de ton coeur, dont vous parler. Sur la question de l'Église le Concile a soigneusement fait attention d'aborder les choses par la dimension de son Mystère<br /> en évitant de parler de sa Nature, justement pour ne pas figer les choses à l'avance. Je crois que c'est de là qu'il faut repartir aussi en morale. Parler de Mystère de la sexualité humaine et<br /> creuser, plutôt que d'aborder les choses par leur Nature (ou contre nature - ce qui soit dit en passant sont des termes techniques médicaux de l'Antiquité et ont un sens précis, qui n'est pas celui<br /> philosophique donné plus tard) et figer les choses dans des catégories.<br /> Amitiés<br /> E<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci Eitan... oui, c'était un choix de ma part de ne pas vraiment conclure. Je rêve parfois d'une Eglise qui ne sache pas tout et qui ait besoin de dire aux autres : racontez-moi ! dites-moi !<br /> sans vous je ne saurai pas !...<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Père Jonathan ,<br /> J’ai envie de vous dire que l’Église s’en fout des recherches psychologiques (même si ce n’est pas vrai) à partir du moment qu’ils n’ont pas pour but de chercher l’intention profonde de Dieu :<br /> Est-ce que les recherches de Freud ou de M. Foucault répondent à cette question « l’homosexualité correspond-il à la volonté de Dieu à l’origine ? » La réponse est Non et c’est normal, car ce n’est<br /> pas le but de la science.<br /> L’Église peut s’appuyer sur les recherches de Freud ou autre pour comprendre mieux l’homosexualité, mais elle ne pourra jamais s’appuyer sur la bible encore moins sur la tradition pour dire que<br /> l’homosexualité n’est pas une conséquence directe ou indirecte du péché originel. Le péché originel a blessé tout l’homme : l’intelligence, le cœur, sa chair …, pourquoi il est si difficile de<br /> croire qu’il a touché aussi la sexualité de l’homme de tant et plus que c’est l’une des fonctions les plus importantes et les plus sensibles de l’homme qui nous rend semblable à Dieu et nous<br /> distingue radicalement des anges. Notre sexualité est une image de la Trinité dans le sens où elle montre que La complémentarité exige l’altérité pour être féconde, de même que pour ouvrir une<br /> porte il faut à la fois une cellule et une clé, la sexualité ne peut être intelligible qu’à partir de la complémentarité qui existe entre une femme et un homme.<br /> Je voudrais aussi vous poser une question : « est-ce que l’idée que l’homosexualité soit la conséquence du péché originel vous dérange ?» Et si oui pourquoi ça serait impossible<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Mais, cher Fred, vous n'avez pas répondu à ma petite question : est-ce que pour vous le lièvre est un ruminant ou pas ? C'est quand même très important !<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> "Alors que les textes de la Bible porte un jugement négatif sur "celui qui couche avec un homme comme on couche avec une femme", et qu'abondent les condamnations traditionnelles de la sodomie, la<br /> découverte moderne de l'homosexualité en tant que structure psychologique a entraîné un tel bouleversement de notre compréhension, que ces textes perdent de leur pertinence pour juger des actes<br /> homosexuels, et que nous avons encore à chercher."<br /> <br /> Pourquoi l’Église devrait-elle donner plus de crédit à la psychologie qu’aux écritures ? D’ ailleurs contrairement à ce que vous dites l’Église a intégré les découvertes modernes sur<br /> l’homosexualité, puisqu’elle ne condamne plus l’homosexualité, mais les actes homosexuels.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Cher Fred, je prépare une longue réponse, mais il me faut encore du temps pour écrire.<br /> <br /> <br /> En attendant, je vous laisse une petite question : le lièvre est-il un ruminant ou pas ? Pour répondre, faites-vous confiance à la Bible ou à la science ? Allez lire Lévitique ch. 11...<br /> <br /> <br /> Sur "l'intégration" je ne suis évidemment pas d'accord avec vous : où retrouve-t-on, dans les discours de l'Eglise, la moindre pensée structurée sur l'homosexualité, qui évoque les travaux de S.<br /> Freud ou de M. Foucault ?<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Mon commentaire a été censuré ou c'est une erreur ? :-)<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Bonsoir Fred je n'ai rien censuré du tout, j'aurais été heureux de vous lire ! Un ordinateur malveillant a dû le manger  avant qu'il soit publié !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Pensez-vous que l'Église pourrait sortir de la condamnation des actes homosexuels, passant à une position de non-savoir, tout en étant fidèle à l'Écriture, la Tradition et l'Esprit-Saint ?<br /> <br /> Non. Elle enferme toute la sexualité dans la monogamie, pour des raisons qui peuvent d'ailleurs se comprendre. La force de l'instinct sexuel est telle que la volonté de le maîtriser se comprend<br /> aisément. Cependant, la manière de chercher à obtenir ce résultat n'est pas du tout en phase avec la société instruite et évoluée d'aujourd'hui.<br /> <br /> Le fait que Jésus ait été célibataire les relativise, non ?)<br /> <br /> On ne sait rien de la vie de Jésus entre les âges de 20 et 32 ans ; on ne peut donc rien "relativiser".<br /> <br /> <br />
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