Le jour "G"
Le jour "G", c'est le jour où, avant de me coucher, j'ai écrit dans mon carnet : "je suis gay." Enfin c'était plutôt au milieu de la nuit. J'étais déjà séminariste depuis quelques années.
Le matin même, j'aurais sans doute écrit, plutôt : je suis hétéro. Ah oui, parfois je mate des beaux mecs sur internet ; ah oui, je me suis renseigné sur internet pour savoir comment deux hommes peuvent coucher ensemble et ça m'a l'air sympa ; ah oui, je ne parle jamais de sexualité... mais je suis hétéro. Comme quoi le refoulement, ça existe !
Mais ce soir là, j'ai fait un tour sur l'internet, pour mater quelques belles photos (genre mec bronzé et musclé en slip de bain, mais pas le genre de photo trash). Et il y avait une pub, qui disait "are you gay.com ?" C'était évidemment un jeu de mots entre la question "are you gay ?" et le nom du site "gay.com". La pub, juste ces mots, me fascine, je ne vois plus que ça... et JE CLIQUE, dans un état second. Je visite un peu le site (aucun souvenir, d'ailleurs, ne me reste du site). Puis, en colère, j'éteins l'ordinateur, je fais le noir dans ma chambre, je prie.
Peu à peu ma prière monte, de plus en plus forte, de plus en plus violente, pour crier au Seigneur : "Seigneur, je ne veux pas être gay." Et en criant de plus en plus, je m'enfonce dans le silence de Dieu, dans cette nuit dont l'obscurité était tangible, envahissante. Jusqu'au moment, où après un silence gigantesque, ou plutôt plongé dans ce néant noir et profond, je murmure :"je suis gay." Et je trouve la paix.
Je repense, en écrivant cela, au combat de Jacob (allez lire : Genèse 32, 25-33) J'ai l'impression de ne jamais m'être approché de Dieu avec une telle violence que ce jour-là. Et si la Croix c'est en même temps el déchirement et l'unité, la parole et le silence, la peur et la confiance, l'amour dans ses contradictions, là, ce jour là, j'y ai été.
C'est comme s'il y avait eu une peur immense en moi, la peur de dire "je suis gay", et que cette peur avait tout d'un coup disparu. Evidemment, cette peur ne prenait pas la parole, ç'aurait été trop facile ! C'était un interdit, interdit de regarder là dans ma vie, dans mon désir, interdit sans nom. J'aurais voulu, ce soir là, que Dieu chasse ce que je craignais qu'il y ait à voir. Il a chassé la peur de voir - et ce qu'il y avait à voir n'était pas du tout terrifiant, bien au contraire.
C'est étonnant comme ce jour, ce "jour G", a changé ma vie. J'ai toujours eu peur, avant, de toutes les rencontres... je connaissais bien les réflexes mondains, et ça m'aidait bien pour qu'on ne me connaisse jamais vraiment. Parce que, je le comprends maintenant, j'avais peur qu'un autre nomme, avant moi, le secret que je portais. Depuis, tout a changé - et l'amitié a une grande place dans ma vie, les joies simples d'aller se ballader, ou de boire une bière ensemble, c'est l'amitié, se connaître, et c'est bon.
Dans ma mémorie, il y a surtout un souvenir : c'est que pour parler de ce moment de nuit, la meilleure manière ce n'est pas de dire "je suis gay", mais "tu m'as libéré". Il y avait quelqu'un, et c'est devant lui que j'ai pu faire ce chemin. Ce quelqu'un, j'en suis sûr, c'est le Dieu de Jésus-Christ, c'est celui que l'Eglise m'a fait connaître et aimer. C'est lui qui fait la cohérence et le sens de ma vie. Avant d'être de telle ou telle orientation sexuelle, je suis son fils, et c'est ça qui a tout son sens dans une vie de prêtre.
Souvent je repense aussi à l'évangile de l'aveugle né, pour me souvenir de ce moment (évangile de Jean, ch 9)
En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?» Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui! Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler; aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.» Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle; et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.