Les chrétiens et l'homosexualité : l'enquête (Cl. Lesegretain)

Publié le par Père Jonathan

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Il y a quelques années, un peu désespéré après ma découverte de mon homosexualité, j'avais profité d'un voyage pour entrer dans la librairie LGBT d'une grande ville où personne ne me connaissait. Dans ce qui me semblait un paradis interdit, tout au fond, j'avais trouvé ce livre de Claire Lesegretain, journaliste à la Croix : Les chrétiens et l'homosexualité : l'enquête. Et je l'avais acheté, un peu honteux toutefois de m'afficher catho devant le caissier ! Depuis, j'ai vu ce livre dans la bibliothèque de plus d'un confrère prêtre : signe qu'il l'avait lu... et voyant la tranche du livre, qui porte en gros l'inscription « homo », plus d'un visiteur a dû trouver là l'incitation qu'il attendait pour oser parler au prêtre de ce qui le travaillait.

 

Basé sur une enquête, le livre présente toute une foule de personnages qui réfléchissent sur le rapport entre homosexualité et christianisme : personnes homosexuelles, prêtres, théologiens, psychanalystes, responsables associatifs. La beauté du livre, c'est sa polyphonie : bien loin d'une perspective qui unifierait de force tous ces témoignages, on assiste à des paroles irréductibles les unes aux autres. Je dois avouer, d'ailleurs, que c'est en constatant l'absence d'un chapitre où témoignerait un prêtre gay, que m'étais venue l'idée de créer ce blog...

 

Certains chapitres m'ont été insupportables, je l'avoue ! surtout ce supérieur de séminaire qui, alors qu'il a demandé à témoigner anonymement, prend bien soin d'affirmer qu'il n'a jamais ordonné un séminariste gay... Il l'affirme si fort qu'on se demande ce qu'il craint ! En le lisant, je me suis senti comme un trisomique à qui on expliquerait l'intérêt du dépistage prénatal : mériterais-je donc la mort ? Mais non ! Et souvent aussi, j'ai pleuré en lisant les témoignages de chrétiens gays et lesbiennes, trouvant dans leurs récits de quoi nommer un peu de ma vie.

 

Je voudrais signaler particulièrement deux chapitres (mais lisez tout le reste aussi !)

 

Jacques Arènes, psychanalyste

Un psy chrétien, qui a écouté beaucoup de monde dans son cabinet, et dont le discours s'écarte du magistère... on respire ! Et on s'écarte enfin de la vulgate psy-catho (« Un homo c'est quelqu'un bloqué dans son développement affectif. Il n'a pas accès à l'altérité »). J. Arènes décrit en effet trois grands types de personnalités homosexuelles : « le type névrotique, le type pervers et le type narcissique. » Ce sont évidemment des catégories générales, mais j'aime souligner ce qu'il dit du type névrotique :

« La personne homosexuelle de type névrotique n'a pas vraiment d'autres problèmes, si elle considère cette question comme un problème, que celui de son homosexualité. Elle est capable d'une juste distance vis-à-vis de l'objet amoureux et elle n'est pas dans la fusion. »

Ce n'est pas pour dire que tout est facile : dans son cabinet, il entend bien des épreuves. Mais cette ouverture, venant de quelqu'un qui connaît le sujet vraiment, mérite d'être signalée.

Contre ceux qui pensent qu'une bonne psychanlayse va nous remettre « dans le bon chemin », il répond à la question de l'évolution d'une homosexualité de type névrotique au cours d'une analyse : 

« Cette homosexualité peut-elle évoluer, au cours d'une analyse, vers une hétérosexualité ? - C'est plus difficile. Mais cela n'empêche pas qu'une thérapie soit utile. D'abord parce que c'est souvent la première fois que la personne homosexuelle s'ouvre de son problème à quelqu'un. A ce porpos, il faut signaler qu'il n'y a qu'avec les personnes homosexuelles que l'on voit cela : nul autour d'elles n'est au courant de ce qu'elles vivent. Parfois, dix séances peuvent suffire pour aider un jeune qui découvre son homosexualité à faire face au problème. Il suffit d'écouter, de valider ce qui est dit et de dédramatiser, comme peut le faire un bon accompagnateur spirituel. J'ai ainsi été témoin de coming out intérieurs pour certains jeunes adultes qui ont pu alors s'accepter eux-mêmes, sans attendre un changement d'orientation sexuelle mais en cherchant que faire « avec ça. » »

 

Enfin, sur la vie de couple, il dit entre autres :

« Certains s'humaniseront plus en vivant à deux. Il s'agit alors d'aider la personne à construire un couple qui soit un vrai couple, avec un compagnon reconnu comme un véritable compagnon, dans une relation d'estime qui permette la bonne distance. Une relation où il n'y ait pas emprise de l'un sur l'autre. »

 

Soeur Véronique Margron

dominicaine et théologienne, doyenne de la faculté de théologie à l'Université catholique de l'Ouest à Angers, enseigne la théologie morale à l'Institut catholique de Paris.

 

Ce chapitre est admirable, et il faut sans doute toute la délicatesse d'une femme pour écrire ainsi : intelligence, écoute, ancrage dans la tradition morale de l'Eglise, attention portée au Magistère... Sr Véronique est comme ces acrobates qui marchent sur un câble tendu au-dessus du sol : jamais un pas trop à droite ni trop à gauche : bel exercice !

 

Tout en rendant compte de la logique des discours magistériels, Sr Véronique porte une critique forte :

« Un tel système est à la fois fort, car tout se tient, et non sans fragilité au regard des découvertes anthropologiques contemporaines. Certaines vont étayer les réflexions du magistère de l'Eglise, d'autres au contraire ne sont pas sans les questionner. »

Plus loin (à propos de l'exigence de continence pour les personnes homosexuelles) :

« Sur le terrain de la doctrine, cette position se tient bien. Mais elle se heurte au réel des humanités. » « La tendresse peut être plus heureuse que le plaisir sexuel et la retenue de son propre plaisir peut être un don offert à l'autre. Mais une retenue peut être aussi signe d'un refus de s'abandonner à l'autre, d'un manque de confiance. La vraie retenue, me semble-t-il, ne peut se vivre, dans ce domaine de la sexualité, que dans la lucidité et l'échange sincère entre les sujets. »

Et au sujet du PACS : « la déclaration des évêques de France à propos du PACS, en 1998, m'a donné l'impression d'une déclaration trop lapidaire [...] « L'institutionnalisation des unions de personnes homosexuelles n'est pas sans justification, pour des sociétés laïques et démocratiques. » 

 

La partie la plus intéressante, où Sr Véronique fait véritablement oeuvre de théologie morale, apparaît lorsque la journaliste lui demande ce que peuvent faire les personnes homosexuelles.

« La tradition biblique ne donne pas de réponse à cette question [...] Difficile travail éthique, jamais terminé, qui permet à chacun, dans la relation, d'aller sa propre vie, de ne jamais se sentir dévoré par l'autre, que celui-ci soit son époux, son parent, son enseignant ou son employeur. Ce labeur éthique est pour tout le monde, y compris pour les personnes homosexuelles qui peuvent donc y travailler, comme chacun.

Cette question du rapport à l'altérité se pose à toute conjugalité. Tout couple est invité à se demander dans quelle mesure sa relation d'amour sème de la confusion ou crée de l'unité, à l'intérieur et à l'extérieur du couple. Il y a des couples hétérosexuels qui ne respectent guère ce rapport à l'altérité [...] Qu'est-ce qui va permettre, dans un amour de personnes homosexuelles – où donc la ressemblance de fait est présente – de faire droit au travail d'altérité ? »

 

Je n'ai fait que quelques citations qui rendent bien mal compte de la finesse et de l'intelligence de ces articles... J'ai sélectionné ce qui montrait une attitude plus positive que ce que à quoi l'on s'attend d'habitude de l'Eglise, sans citer tous les problèmes aussi évoqués : on ne les connaît que trop. Ces auteurs ne sont pas là en faveur de telle ou telle position politique, mais ils nous offrent la joie de la pensée et le bonheur d'espérer inventer un avenir... L'Eglise, c'est aussi cela ! Puissent-ils être lus au Vatican !

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Publié dans Livres

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