Queer and Chast as Folk !
Je suis un type homo et chaste... bizarre, non ? Même si l'inconscient se dérobe toujours, je voudrais vous partager un peu de cette expérience, en cherchant ce qui vit en moi.
Si vous avez lu Le jour "G" , vous savez donc que jusqu'à un certain âge je refoulais mon homosexualité. Evidemment, dans cette période, j'ai dormi seul tous les soirs de ma vie. Mais quelle horreur, le refoulement : car les désirs cachés se manifestaient autrement, inaccessibles, épuisants, jamais assouvis. J'aurais pu m'y perdre.
Et il y a eu ce jour, dans la prière, où j'ai trouvé des mots pour dire ce désir sexuel en moi, ce désir qui n'était pas celui que j'avais appris à l'école ou au caté... et où j'ai fini par en rendre grâce à Dieu.
J'osais enfin regarder en face et nommer ce qui m'habitait : sexuellement, c'est d'un homme que j'avais envie.
Moment de joie, moment de paix, mais aussi, je le vois maintenant, un peu risqué. J'étais comme un barrage qui cédait après avoir accumulé de l'eau depuis des années. Tout aurait pu être emporté sur son passage, et j'aurais chanté comme Stéphanie de Monaco... "Comme un ouragan qui passait sur moi, l'amour a tout emporté" !
Pourtant, je ne suis pas passé à l'acte. Je n'en ai aucune fierté : je repense à trois amis qui m'ont aidé, qui m'ont écouté, qui m'ont accepté. L'un d'entre eux, homo et qui venait de rompre avec son compagnon, aurait pu profiter de moi. J'en ai eu envie, d'ailleurs, et ça m'a déchiré. Je lui dois beaucoup, et il m'a aidé à reconnaître ce qui était en moi comme un animal sauvage, et à l'apprivoiser : à ne pas en avoir peur comme d'un loup sauvage, mais en faire un chien accroché à sa laisse, qui aboie un peu de temps en temps, mais pas trop. Le pire, le plus dangereux, c'est la peur.
Depuis, j'avance un peu sur le chemin de la sagesse... Il y a des jours où le désir semble trop fort, où des inconnus croisés dans la rue font monter en moi une folie violente. Mais un directeur spirituel m'a appris à refuser un rêve, une tentation : la tentation d'être un petit garçon qui n'aurait pas de sexualité. Il m'a dit que souvent le passage à l'acte venait du refus du désir. Ça m'a paru stupide, au début. Et peu à peu j'ai appris à reconnaître ces deux forces, en moi : il y a l'émotion devant l'autre, imprévisible, inattendue, qui me met hors de moi, qui me révèle que je ne suis pas la source de ma propre vie, de ma propre joie. Et il y a une peur devant cette émotion, qui voudrait la faire disparaître, qui voudrait tout posséder, maîtriser. Et cette peur, si je l'écoute, ne trouverait jamais qu'un moyen pour faire disparaître l'émotion : posséder l'autre, jouir de lui, être l'objet de sa jouissance.
Mais quand je reconnais l'émotion, quand je l'accepte, quand je la nomme, quand je la prie, alors la peur diminue.
Et cette peur, et ces désirs, comportent toujours une part de mensonge. Ils me disent toujours : je suis plus fort que toi. Ou bien ils me parlent en « je », comme si c'était moi qui désirait cela, ce passage à l'acte, cette possession. Mais il y a eu deux rencontres étranges. Deux fois, j'ai rencontré quelqu'un, j'ai eu du désir pour lui... ce désir était partagé et nous le savions. L'autre m'a proposé d'aller plus loin. Et, sans que je sache comment, je lui ai dit non à chaque fois. Sans violence, sans force, avec une voix douce, sans haine, avec une voix tendre. D'une voix que je ne soupçonnais pas en moi, qui n'avait jamais dit qu'elle était là, et qui tranquillement laisser aller l'autre sur son chemin, et moi sur le mien de célibat consacré.
La chasteté, pour moi, elle est là, dans cette surprise qui est survenue dans des moments vrais, alors que les images de mes fantasmes rêvaient et racontaient toute autre chose. Et puis elle se vérifie dans le reste de ma vie : visiblement, le célibat ne me rend pas fou, je suis heureux de vivre, et reconnu comme tel ! Mais d'où vient-elle, cette chasteté ?
Je n'en sais rien ! Elle est dans la démaîtrise, alors je n'ai pas de recette, ni pour moi, ni pour un autre. Pourtant, j'ai toujours deux souvenirs. Ce jour où, très ému par la contemplation du Christ qui parcourait le pays au milieu de son peuple, j'ai été pris du désir de le suivre, et j'ai enfin dit oui à ce désir d'être prêtre. C'était, au sens propre, un coup de foudre. Les années ont passé, « la pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé : c'est qu'elle avait été fondée sur le roc. » (Mt 7, 25)
Et puis il y a eu cette retraite, pendant le séminaire, où j'ai prié avec les images de la Passion. J'ai pris la place des bourreaux, et j'ai accepté vraiment ce que le Seigneur m'offrait là. Je lui ai fait ce que j'ai voulu. Je l'ai livré à mes passions. Et lui, il traversait cela, sans haine et sans possession, sans plaisir et sans cris. Un amour véritable, qui ne jouait pas à me posséder, qui ne jouait pas avec moi, qui n'attendait rien de moi en retour. De sa chasteté à lui, de sa manière de s'offrir à ses bourreaux, j'ai reçu aussi une purification de mes passions.
Quand je célèbre l'eucharistie, parfois, je repense à tout cela. Et j'accueille mon Seigneur qui se donne à son Eglise, corporellement, comme une nourriture... mais sous une forme dont tout plaisir est absent : un peu de pain qui n'a pas eu le temps de lever. Amour total, don corporel, mais absence de sensation. Véritable ascèse, dont je suis loin d'avoir encore fait le tour.
Il y a ces grâces, et puis il y a le soin que je prends, un peu, de moi-même. Dans ma vie, je veille à avoir de l'amour et du plaisir ! Des vrais amis, des frères, avec qui on partage tout, on se soutient, on se conseille... Un travail où, dans certaines rencontres, je me surprend de l'aide que j'arrive à donner à quelqu'un... Du plaisir, avec de la musique, quelques bons repas de temps en temps, du sport souvent... Si je vivais sans mon corps et sans amis, je serais tenté de chercher ailleurs, certainement.
Je conclus avec ce mot de la mère de Napoléon qu'on interrogeait sur les succès militaires de son fils, et qui répondait avec son accent corse, sans se laisser impressionner : « Pourvou que ça doure ! »