La Bible est trYste, hélas, et j'ai lu tous les blogs

Publié le par Père Jonathan

 

La Bible n'est pas très gay ! Et on trouve sur les blogs tellement d'articles, soit pour dire que la Bible condamne très clairement l'homosexualité, soit pour dire au contraire que ce qu'elle en dit de négatif n'a pas vraiment de poids. Faisons le point !

C'est un peu long... Voici le plan : 1. Les mentions explicites ; 2. Evaluation ; 3. David et Jonathan ; 4. Conclusion : les deux morales de l'Evangile.

 

1. Les mentions explicites

On trouve quelques passages bibliques où, avec un langage qui n'est plus forcément le nôtre, les textes parlent négativement de l'homosexualité.

D'abord deux récits. Celui de Sodome, ville qui a laissé son nom à la sodomie. (Genèse ch. 19, versets 1 à 25). Deux messagers (ou anges) sont invités par Loth à passer la nuit dans sa maison de Sodome. Et tous les hommes de la ville surgissent, le soir venu, demandant à « connaître » ces deux hommes – et il ne fait aucun doute que « connaître » est l'euphémisme habituel de la Bible pour parler des rapports sexuels. Loth refuse, leur propose plutôt ses deux filles vierges, qu'ils refusent. Après une histoire un peu étrange (plusieurs manuscrits ont dû être raboutés ici), « Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu. »

Un récit du même genre se trouve dans le livre des Juges (Juges ch. 19). Un prêtre est invité à passer la nuit avec sa concubine chez un vieillard à Gibéa; le soir venu, les hommes de la ville demandent au vieillard de faire sortir cet homme, pour « que nous le connaissions. » Même refus, et finalement le prêtre leur donne sa concubine, qu'ils violent toute la nuit... La femme en meurt, et pour se venger le prêtre découpe sa concubine en douze morceaux qu'il envoie aux douze tribus d'Israël.

Conclusion : à Sodome comme à Gibéa, la Bible raconte une histoire où on considère « abominable » le viol collectif homosexuel d'un hôte de passage. Et semblerait préférable le viol collectif hétérosexuel d'une jeune fille de la ville. Cela a bien peu à voir avec l'homosexualité au XXIème siècle !

 

Ensuite, deux articles de loi dans le livre du Lévitique :

« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C'est une abomination. » (Lv 18, 22)

« L'homme qui couche avec un homme comme on couche avec une femme : c'est une abomination qu'ils ont tous deux commise, ils devront mourir, leur sang retombera sur eux. » (Lv 20, 13)

Le premier article condamne seulement le partenaire actif ; le deuxième condamne les deux partenaires.

Conclusion : le livre du Lévitique condamne clairement les relations homosexuelles masculines.

 

Enfin, trois mentions dans le Nouveau Testament, dans les lettres de Saint Paul.

Deux sont des citations sans explications, dans une liste de péchés :

« Certes, nous le savons, la Loi est bonne, si on en fait un usage légitime, en sachant bien qu'elle n'a pas été instituée pour le juste, mais pour les insoumis et les rebelles, les impies et les pécheurs, les sacrilèges et les profanateurs, les parricides et les matricides, les assassins, les impudiques, les homosexuels, les trafiquants d'hommes, les menteurs, les parjures, et pour tout ce qui s'oppose à la saine doctrine, celle qui est conforme à l'Évangile de la gloire du Dieu bienheureux, qui m'a été confié. » (1ère lettre à Timothée, ch. 1, versets 8-11)

 

« Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront pas du Royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas ! Ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de moeurs infâmes, ni voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces, n'hériteront du Royaume de Dieu. » (1ère lettre aux Corinthiens, ch. 6, versets 9-10)

Les termes grec sont ici malakos et arsenokoitès (traduits ici par dépravés et gens de moeurs infâmes); il semble bien que cela ait à voir avec l'homosexualité – ou au moins avec des pratiques sexuelles condamnées par la société de l'époque, ce qui n'est pas la même chose.

 (1Co 6:9-10 FBJ)

Ces deux mentions sont compliquées à interpréter : le sens des termes n'est pas parfaitement clair, et Saint Paul ne détaille pas du tout ces situations, et n'explique pas la raison de la condamnation.

 

Mais c'est plus clair dans la lettre aux Romains, 1er chapitre, versets 26-27.

« Aussi Dieu les a-t-il livrés à des passions avilissantes : car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes, délaissant l'usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l'infamie d'homme à homme et recevant en leurs personnes l'inévitable salaire de leur égarement. »

Là, pas de doute, on parle de relations sexuelles entre personnes de même sexe. Toutefois, le sens littéral du texte pose question : parle-t-on de personnes homosexuelles « par nature », « depuis toujours » (excusez moi pour ces simplifications), ou bien de la pratique (attestée par exemple dans Pétrone, Satiricon, le festin de Trimalcion) d'un homme riche et marié, mais qui a un « mignon » parmi ses esclaves ?

 

2. Evaluation

- la Bible ne connaît pas le concept d'homosexualité. Elle n'aborde jamais que la question des actes homosexuels, qu'elle exprime soit par un langage d'inversion des rôles (« avec un homme comme avec une femme », « ils ont échangé »), soit par des adjectifs grecs (chez Paul) dont le sens évoque l'homosexualité dans la société grecque du 1er siècle après Jésus-Christ. Toutefois, on ne trouve jamais de réflexion sur des personnes homosexuelles « depuis toujours », ni sur ce que serait une relation homosexuelle stable et réciproque (sans que les faveurs sexuelles ne soient obtenues par la violence, l'argent ou la domination). Mais il reste indubitable que ces passages qui évoquent l'homosexualité sont toujours connotés négativement.

 

- Par rapport à l'ensemble de la Bible, il est clair que la Bible parle très peu d'homosexualité. Cette question est absente de l'Evangile – qui est le centre de la Bible pour les chrétiens (au moins les catholiques, je connais l'attachement de nos frères protestants à Saint Paul) : l'homosexualité est absente des discours de Jésus comme des personnes qu'il rencontre.

 

- D'autres thèmes sont infiniment plus présents dans la Bible, par exemple le mariage (homme-femme) vu comme allégorie de l'Alliance de Dieu avec son peuple : on le trouve dans toutes les catégories de textes de l'Ancien Testament (loi, prophètes, autres écrits), dans l'Evangile, chez Paul.

 

- Dans les lettres de Saint Paul, les mentions de l'homosexualité ne sont pas le lieu d'une réflexion sur l'homosexualité. Paul cite ces relations, souvent dans une liste, comme des lieux communs que ses lecteurs partagent avec lui, pour atteindre un autre objectif : parler de Dieu et de Jésus-Christ. Dans la lettre aux Romains, l'homosexualité est mentionnée dans un chapitre qui critique de manière générale l'idolâtrie, pour montrer que même les païens auraient pu reconnaître la gloire de Dieu. Et dans 1Co et 1Tm, la présence d'une liste de péchés montre bien que Paul n'engage aucune réflexion sur l'homosexualité, mais qu'il reprend des lieux communs sans s'interroger sur leur bien-fondé.

 

- Les condamnations de Sodome et Gibéa n'ont rien à voir avec l'homosexualité moderne. C'est avant tout une histoire de viol collectif qui contrevient aux lois de l'hospitalité.

 

- Les condamnations du Lévitique sont, elles, parfaitement claires... Sauf que le Lévitique condamne aussi beaucoup d'autres choses ! Le plus fameux est la condamnation du prêt à intérêt  (Lv 25, 37). C'est une condamnation reprise par le Deutéronome, les prophètes et les psaumes  (Dt 23,20 ; Ps 15,5 ; Ez 18,8) – contrairement à la condamnation beaucoup plus ponctuelle de l'homosexualité. Elle est aussi évoquée dans l'Evangile : Jésus raconte une parabole où un débiteur ne peut pas rembourser sa dette, et où le maître lui en fait grâce (Mt 18,25; Lc 7,42). Jésus le mentionne jusque dans la prière du Notre Père en Mt 6,12 : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs. » Et les théologiens du Moyen-Âge ont longuement débattu de la moralité du prêt à intérêt, ne l'acceptant que très tardivement.

 

Conclusion : certes, la Bible porte à quelques endroits des évocations de l'homosexualité, avec une connotation négative. Mais ces condamnations sont peu abondantes, et absentes de l'Evangile. La condamnation de l'homosexualité est beaucoup moins forte que celle du prêt à intérêt... que les chrétiens pratiquent pourtant sans vergogne aujourd'hui.

 

3. David et Jonathan

Dans les deux livres de Samuel, on nous parle de l'amitié entre Jonathan (le fils du roi Salomon) et David (qui succèdera à Salomon). A la mort de Salomon, David s'écrit :

« J'ai le coeur serré à cause de toi, mon frère Jonathan. Tu m'étais délicieusement cher, ton amitié m'était plus merveilleuse que l'amour des femmes. (2Sam 1, 26)

La traduction atténue le texte : en hébreu comme en grec, c'est le même terme que David emploie. David dit : « ton ahavah/agapèsis m'était plus merveilleuse que l'ahavah/agapèsis des femmes. »

Qu'on a écrit là-dessus ! Soit pour dire qu'on avait ici un attestation d'une considération positive de l'homosexualité, soit pour dire que c'est une amitié très belle que les militants LBGT veulent dénaturer ! Soyons honnêtes : les interprétations dépendent beaucoup du point de vue initial. Ceux qui veulent « prouver » que l'homosexualité est bonne finissent par le retrouver dans le texte, et inversement.

Quels sont les faits objectifs, textuels ?

- il n'y a pas d'affirmation explicite de relations sexuelles. Jamais ils ne se « connaissent », ne « couchent » ou ne « dorment » ensemble. Jamais on ne trouve dans la Bible de couple homosexuel qui serait comparé à David et Jonathan.

- Mais cela ne suffit pas ! Car la sexualité ne se dit jamais (sauf dans les cours de biologie) de manière « mécanique ». Elle se dit toujours de manière symbolique. Les couples disent souvent « cela fait 6 mois que nous sommes ensemble. » Ou bien « il a très vite voulu un engagement. » Les symboles doivent être interprétés, mais l'interprétation dépend toujours de celui qui interprète.

- Pour un lecteur qui a une conception positive de l'homosexualité, il y a dans le texte un certain nombre de symboles qui le font penser à une relation homosexuelle. La rencontre de David et Jonathan fait penser à un coup de foudre : « Lorsqu'il eut fini de parler à Saül, l'âme de Jonathan s'attacha à l'âme de David et Jonathan se mit à l'aimer comme lui-même. » (1Sam 18, 1) – jamais on ne voit une amitié aussi forte et aussi immédiate dans la Bible. Alors que Saül veut faire périr David, Jonathan le sauve en secret, et leurs retrouvailles sont émouvantes : « Jonathan remit les armes à son servant et lui dit : " Va et porte cela à la ville. " Tandis que le servant rentrait, David se leva d'à côté du tertre, il tomba la face contre terre et se prosterna trois fois, puis ils s'embrassèrent l'un l'autre et ils pleurèrent ensemble abondamment. » (1Sam 20, 40-41). Mais surtout, on voit un jour Saül traiter son fils Jonathan de « ramolli » à cause de sa relation avec David, et il utilise une injure sexuelle : « Saül se mit en colère contre Jonathan et il lui dit: «Fils d'une dévoyée! Je sais bien que tu prends parti pour le fils de Jessé (=David), à ta honte et à la honte du sexe de ta mère ! Car aussi longtemps que le fils de Jessé vivra sur la terre, tu ne pourras t'affermir, et ta royauté non plus. Maintenant, fais-le saisir, et qu'on me l'amène, car il mérite la mort. » (1Sam 20, 30-31) Il y a donc des indices assez forts.

- Ces symboles sont assez forts, et on comprend qu'un interprète non-homophobe y voit une allusion voilée à l'homosexualité. Est-ce suffisant ? En toute rigueur, la conclusion doit être prudente, car on ne dispose pas de références culturelles qui nous permettrait d'établir une comparaison. David et Jonathan, pour parler comme le Lévitique, ont-ils « couché ensemble comme un homme couche avec une femme » ? Je ne sais pas... Pourtant, la question se pose objectivement : on ne peut pas nier que la question se pose, car c'est David lui-même qui compare sa relation avec Jonathan (ahavah/agapèsis) à sa relation aux femmes.

Conclusion : c'est le texte même de la Bible qui nous pose la question de savoir si David et Jonathan ont eu une relation homosexuelle. Le texte présente des indices qui nous donnent envie de répondre oui, mais le texte laisse le lecteur faire lui-même ce travail d'interprétation.

 

4. Conclusion : les deux morales de l'Evangile

Il est clair, de ce qui précède, qu'on ne peut pas s'appuyer sur la Bible pour condamner immédiatement les situations d'homosexualité qui se présentent dans les sociétés modernes d'aujourd'hui. Ces textes sont à interpréter, et les chrétiens ne se gênent pas, en général, pour interpréter ces textes. Sauf à refuser le prêt à intérêt !

Si l'Evangile ne dit rien de l'homosexualité, il oppose par contre clairement deux types de morale. Cette question morale est importante : en effet, la Bible est traversée, non pas par la question de l'homosexualité, mais par la question morale. Faire le bien, soutenir le faible contre le fort, construire un monde de justice.

Dans l'Evangile, on voit deux types de morale. Il y a celle des pharisiens : ceux qui se croient justes, et qui utilisent la Loi biblique pour condamner les autres et asseoir leur supériorité. Et il y a la morale de Jésus : celle qui conduit l'homme à se reconnaître humblement pécheur et à demander à Jésus de l'aider. 

La question morale de l'homosexualité aujourd'hui, ce n'est pas d'abord de savoir ce que les personnes homosexuelles doivent faire, ou pas... Mais bien de savoir comment avoir des relations justes avec ces personnes. Car la morale « pharisienne », celle qui se sert de la Bible pour condamner les autres, on sait à quoi elle mène : elle a placé Jésus sur la Croix.

 

Publié dans Eglise

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