Coming-out ou "staying-in" ?... pas malheureux dans mon placard !
A butiner sur internet, il semble évident que tout gay doive passer par le coming-out. Epreuve initiatique, étape indispensable pour vivre heureux, parfois acte militant (comme on le montre si bien dans le film où Sean Penn joue Harvey Milk)... mais 100% impossible pour moi. Gay et célibataire, prêtre fidèle et heureux, appelé à l'ordination par un évêque qui connaissait ma condition bien qu'il ait lu l'instruction de 2005, le coming-out m'est impossible. Il me conduirait à l'écart de cette institution dans laquelle je veux être, et il aurait des conséquences certaines pour l'évêque qui, en conscience, a jugé que le Seigneur m'appelait au sacerdoce. Cela dit, reste à vivre, avec, au coeur, ce secret que je ne pourrai pas proclamer au grand jour.
J'ai bien conscience que mon itinéraire est infiniment personnel et qu'il ne servira sans doute pas de modèle à grand monde... mais je raconte quand même comment, pas après pas, j'avance à la suite de celui qui est "le chemin, la vérité, la vie". Car voilà : pour le chrétien, pas d'espoir d'une vie vraie en refusant l'exigence de vérité.
La première étape, j'ai déjà écrit à son sujet, ce fut le "coming-out intérieur"... c'était le pas qui me terrifiait, et que j'ai franchi dans la prière. Ce fut ce jour de libération où, tard dans la nuit, avant de me coucher, j'ai écrit dans mon journal : "je suis gay".
J'ai rapidement mis quelques amis de confiance dans la confidence. Et j'ai pu éprouver, avec joie, ce dont beaucoup d'autres ont témoigné : il y a plein d'amis qui disent "je ne m'en doutais pas" et qui nous remercient de cette confiance. Alors que je portais toujours cette peur stupide que l'amitié en meure alors que je "perdais la face", le contraire s'est produit : l'amitié a grandi, et l'ami a son tour a fait d'autres confidences. Car "chaque homme dans sa nuit" (selon le beau titre d'un roman de J. Green) porte ses secrets, uniques, et qui l'écrasent quand ils ne viennent pas à la parole.
Se sentir connu et aimé m'a donné des ailes, et j'y ai trouvé la force de parler à celui qui avait sur moi pouvoir de "vie ou de mort", je veux dire de me renvoyer du séminaire, ou de m'appeler à l'ordination. Dans le secret d'un bureau, derrière une porte épaisse, les yeux dans les yeux, émouvant coming-out ! Là aussi, l'amitié et la confiance en sont sorties grandies.
Mais depuis, ce secret reste pesant, malgré tout. Ou bien est-ce que chacun doit porter son histoire unique, toujours irréductible à celle des autres, faisant toujours l'épreuve d'être intérieurement différent de celui que les autres s'imaginent... Donc parfois je parle, et parfois je me tais.
Souvent, je rêve, au milieu de la nuit : "je vais le dire à tout le monde !" ... ou même rêve, en plus modeste : "je vais le dire à X, et Y, et à Z!" ... exaltation nocturne, sentiment de toute puissance et de joie imprenable... Au matin, l'excitation disparaît, car il faut trouver les mots pour parler, humblement, patiemment. Et c'est là qu'un discernement s'opère - non sans combats, d'ailleurs, et c'est là un signe de sa vérité. Car il y a des paroles, qui tout en étant vraies, viendraient brusquer ma relation à l'autre. Oui, c'est lourd d'être pédé en secret, c'est lourd d'entendre autour de soi sans cesse des remarques homophobes, et pourtant je n'ai pas à me décharger de ce poids sur un pauvre, qui ne sait rien de moi et qui serait incapable de porter ce secret partagé.
C'est là que, souvent, j'ai trouvé la force de parler sans tout dire. Je découvre en moi souvent cette tentation : dire "je suis gay", ce serait court-circuiter la lenteur des relations et la vérité des paroles. Il y a plus dur à dire que cette "identité" : dire les joies modestes trouvées dans ma vie, les surprises d'un ministère, la fatigue d'une rencontre... bref, tout ce qui m'arrive et me surprend, tout ce qui me fait bouger. Là est l'exigence de vérité : dire, vraiment, à l'autre, ce qui m'affecte. Sans court-circuiter, sans écraser...
Souvent, je me trouve alors dans une conversation qui devient passionnante. Rien n'est dit de cette orientation sexuelle, et pourtant nous faisons un vrai pas en vérité dans notre rencontre - l'autre ne disant rien, lui non plus, des fantasmes qui hantent ses nuits. Ces conversations riches, si je les gardais dans un herbier, j'en aurais des pages, remplies de fleurs de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de toutes les saisons...
Parfois, bien plus tard, quand nous nous connaissons vraiment, la vérité me conduit ailleurs. Autant ce fut la vérité qui m'avait retenu de dire ce point secret de mon affectivié, autant la vérité maintenant l'exigeait.
Voici mon humble témoignage... pas vraiment utiles pour ceux et celles qui ont à présenter un copain ou une copine à leur famille ! pas vraiment fidèle à la loi LGBT qui proclame, à son premier article, qu'on doit faire son coming-out. Mais, en me découvrant gay, je suis sorti une fois pour toutes des modèles qu'on voulait m'imposer - ce n'est pas tomber dans d'autres modèles... mais témoignage fidèle à la vérité de ces paroles qui nous rassemblent, qui prennent leur temps, qui disent des histoires patientes.
Mais soyons clairs : dès que la hiérarchie me permettra de défiler à la Gay-Pride avec mon clergyman, je n'hésiterai pas une seconde, heureux disciple d'un Maître qui avait sale réputation car il mangeait "avec les publicains et les pécheurs" (évangile selon St Matthieu, 9, 11). Oui, sans crainte ce jour-là de ternir la réputation du Christ, car qu'en reste-t-il depuis que "celui qui n'avait pas connu le péché, Dieu l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu." (2ème lettre de Saint Paul aux Corinthiens, 5, 21)